AMSTERDAM, 11 mars (Reuters) - La Commission européenne va lever 20 milliards de dollars pour construire quatre "gigafactories" d'intelligence artificielle afin de rattraper les États-Unis et la Chine dans ce domaine, mais certains experts de l'industrie remettent en question la pertinence de cette initiative.
Le plan visant à créer de grands centres de données en accès public, dévoilé le mois dernier par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, sera confronté à des défis allant de l'obtention de puces à la recherche de sites et d'électricité.
"Même si nous construisions une telle usine de calcul en Europe, et même si nous formions un modèle sur cette infrastructure, une fois prêt, que faisons-nous avec ?," a déclaré Bertin Martens, du groupe de réflexion économique Bruegel.
C'est un problème d'œuf et de poule. L'espoir est que de nouvelles entreprises locales comme la start-up française soutenue par Nvidia se développeront et les utiliseront pour créer des modèles d'IA conformes aux règles de l'UE et de protection des données, plus strictes que celles des États-Unis ou de la Chine.
Mais en l'absence de grandes entreprises européennes de services cloud comme Google et Amazon, ou d'entreprises comptant des millions de clients payants comme le créateur de ChatGPT, OpenAI, construire du matériel à cette échelle est une entreprise risquée.
Le plan des gigafactories fait partie de la réponse de l'Europe à la compétitivité, qui recommandait des investissements audacieux et une politique industrielle plus active. Von der Leyen a dévoilé les détails lors du sommet AI du 11 février à Paris, dans le cadre d'InvestAI, la réponse de l'Europe de 200 milliards d'euros (216,92 milliards de dollars) au programme américain de 500 milliards de dollars.
Elle a décrit les gigafactories comme un "partenariat public-privé... (qui) permettra à tous nos scientifiques et entreprises - pas seulement les plus grands - de développer les modèles les plus avancés et très larges nécessaires pour faire de l'Europe un continent de l'IA."
Elles seront financées par un nouveau fonds de 20 milliards d'euros, l'argent provenant de programmes existants de l'UE et des États membres. La Banque européenne d'investissement participera.
Von der Leyen a déclaré que les gigafactories contiendraient chacune 100 000 puces "de pointe" - ce qui les rendra plus de quatre fois plus grandes que le plus grand supercalculateur actuellement en construction dans l'UE, le projet Jupiter en Allemagne. Le fabricant de puces américain Nvidia vend les puces GPU de pointe nécessaires pour former l'IA pour environ 40 000 euros chacune - ce qui implique un coût de plusieurs milliards d'euros par gigafactory.
Bien que ce soit important, cela reste en deçà des projets annoncés par les entreprises américaines. Le propriétaire de Facebook, Meta, investit dans la construction d'une installation de 1,3 million de GPU en Louisiane alimentée par 1,5 gigawatt d'électricité.
L'expert en centres de données Kevin Restivo du cabinet de conseil immobilier CBRE a déclaré que les gigafactories rencontreraient les mêmes problèmes que les projets privés en Europe : difficulté à obtenir les rares puces Nvidia et un manque d'électricité à l'échelle requise.
Le gouvernement américain, sous l'ancien président Joe Biden, s'est opposé à fournir des puces d'IA pour empêcher la construction de gigafactories dans de nombreux pays européens, bien qu'il ne soit pas clair si l'administration Trump maintiendra cette position.
"Il n'y a rien qui empêche le gouvernement de mettre la main sur ces puces ou que ... de grands projets n'en découlent, mais il est peu probable que cela se produise à court terme," a déclaré Restivo.
Martens de Bruegel a déclaré qu'il n'était pas judicieux de dépenser de l'argent public dans une course aux dépenses en IA. "La durée de vie de telles usines, avant de devoir les amortir et acheter de nouvelles puces Nvidia, est d'environ ... un an et demi," a-t-il ajouté.
Pendant ce temps, la percée du modèle d'IA chinois Deepseek soulève des questions sur la possibilité de former des modèles d'IA avec moins de puissance de calcul, et si les dépenses devraient plutôt se concentrer sur les applications, qui requièrent différents types de puces.
Le plan de soutien technologique précédent de l'Europe, la Chips Act 2023, visait à introduire la fabrication de puces de pointe en Europe ou à atteindre 20 % de la production mondiale, bien qu'il ait entraîné des investissements dans de nouvelles usines nécessaires pour fabriquer des puces automobiles.
Aux côtés du plan des gigafactories, la Commission est également en train de moderniser 12 centres supercalculateurs scientifiques pour les transformer en...